Mère Teresa, sainte parmi les saintes

(Site Agora vox)

par Sylvain Rakotoarison jeudi 1er septembre 2016

« La vie est une chance, saisis-là ! » (Mère Teresa).

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C’est ce dimanche 4 septembre 2016 qu’a lieu, au Vatican, une grande cérémonie pour la canonisation de Mère Teresa. Des manifestations ont lieu aussi dans d’autres endroits du monde. On pourra toujours disserter sur la pertinence, ou pas, de ce genre de cérémonie (béatification et canonisation) et se dire que les hommes restent les hommes et que Dieu reconnaîtra les siens (ce sujet ne regarde après tout que ceux qui ont la foi, les catholiques ici, les autres devraient s’en moquer).

C’est plutôt l’occasion de revenir sur ce parcours exceptionnel d’humanité de Mère Teresa, nommée « une icône mondiale de l’amour » par Violaine des Courières, journaliste du magazine « La Vie » (dans son article du 31 août 2016).

Mère Teresa a raconté à l’un de ses biographes, Malcolm Muggeridge, qu’elle savait ce qu’il se passerait après sa mort. Elle se présenterait devant saint Pierre qui lui dirait : « Vous ne pouvez pas entrer au paradis car il n’y a pas de taudis ». Alors, elle lui répondrait : « Pauvre saint Pierre ! Je vais remplir le paradis des pauvres gens de mes bidonvilles et vous serez bien forcé de m’y laisser entrer ! ».

En quelques sortes, Mère Teresa faisait partie des personnes qu’on savait saintes de leur vivant, par leur manière de concevoir la vie, de prendre attention aux autres, aux plus fragiles. D’ailleurs, les hommes l’ont aussi « consacrée » dans sa sainteté en lui attribuant le Prix Nobel de la Paix le 17 octobre 1979 (je rassure les inquiets : les Prix Nobel de la Paix ne sont pas tous des saints, loin de là, bien sûr !).

Elle-même, dans son humilité, a accepté toutes les récompenses, pas par orgueil mais pour rester dans sa voie, aider les plus défavorisés, considérant que tout honneur qu’elle pouvait recevoir était d’abord une reconnaissance des plus modestes, des plus défavorisés (elle revendait même ses médailles). Après sa mort, elle a même eu un aéroport international prenant son nom, celui de Tirana, la capitale de l’Albanie, pays qui lui avait refusé le visa pour se rendre au chevet de sa mère lorsque c’était une dictature communsite.

Mère Teresa est née le 26 août 1910 à Skopje, à l’époque dans l’Empire ottoman, sous le nom d’Anjezë Gonxha Bojaxhiu. Elle était alors albanaise, d’une famille bourgeoise catholique qui aidait beaucoup les défavorisés (beaucoup de pauvres étaient invités à leur table : « Ma fille n’accepte jamais une bouchée qui ne soit partagée avec d’autres. »).

La guerre des Balkans et la Première Guerre mondiale ont appauvri la famille, le père est mort d’une mauvaise santé et ses entreprises ont fait faillite. À 12 ans, Anjezë (Agnès) décida à se consacrer entièrement à aider les plus pauvres. Elle quitta sa famille à l’âge de 18 ans, le 25 septembre 1928, pour entrer chez les Sœurs de Notre-Dame de Lorette, près de Dublin (malgré l’opposition de son grand frère). Elle y apprit notamment l’anglais et dès le 1er décembre 1928, elle partit en Inde pour son noviciat. Elle découvrit l’extrême pauvreté qui l’a beaucoup choquée : « Si les gens de nos pays voyaient ces spectacles, ils cesseraient de se plaindre de leurs petits ennuis. ».
Elle est devenue religieuse le 23 mai 1929, puis le 25 mai 1931, elle prit le nom de Sœur Mary-Teresa, en souvenir de Thérèse de Lisieux (1873-1897) qui venait d’être canonisée le 17 mai 1925 et considérée comme patronne des missions. Ses vœux définitifs ont été faits le 24 mai 1937.

Le nom de « Mère Teresa » lui est venu naturellement de son activité d’enseignante auprès des enfants de Calcutta, elle était devenue une sorte de seconde mère pour eux. Rapidement, elle fut nommée pour enseigner la géographie dans une école pour des filles de familles aisées, mais elle passa beaucoup de temps, parallèlement, à s’occuper des défavorisés des bidonvilles.

Sa vocation de se consacrer totalement aux plus pauvres est survenue le 10 septembre 1946 : « Soudain, j’entendis avec certitude la voix de Dieu. Le message était clair : je devais sortir du couvent et aider les pauvres en vivant avec eux. C’était un ordre, un devoir, une certitude. ».

Elle reprit la dernière parole du Christ sur la Croix comme une devise personnelle : « J’ai soif. » : elle parla alors de sa soif du Christ et de son besoin d’aider les pauvres : « Pour moi, ils sont tous le Christ. Le Christ dans un déguisement désolant. ». Dans une lettre rédigée le 26 mars 1993, elle expliqua : « Retenez ceci : « J’ai soif » est bien plus profond que Jésus vous disant « Je vous aime ». Tant que vous ne savez pas au plus profond de vous que Jésus a soif de vous, vous ne pouvez pas savoir qui il veut être pour vous. Ou qui il veut que vous soyez pour lui. Jésus a soif, même maintenant, dans votre cœur et dans les pauvres, il connaît votre faiblesse. Il veut seulement votre amour, il veut seulement la chance de vous aimer. ». Cette parole du Christ a fait écho dans sa conscience : « Dans la mesure om vous l’avez fait à l’un de ces plus petits de mes frères, c’est à moi que vous l’avez fait. » (Matthieu 25, 40).

Le 8 août 1948, après avoir convaincu son archevêque (de Calcutta), elle a convaincu le pape lui-même Pie XII qui accepta qu’elle prît une sorte d’année sabbatique hors de sa communauté religieuse. Elle la quitta effectivement huit jours plus tard, le 16 août 1948, avec très peu d’argent en poche.

Elle suivit une formation d’infirmière, créa des écoles dans des quartiers pauvres, et fonda le 7 octobre 1950 une nouvelle communauté religieuse, les Missionnaires de la Charité. En mars 1963, une communauté de frères missionnaires fut créée parallèlement avec les mêmes règles. En 1965, le pape Paul VI en a fait une société de droit pontifical dépendant directement du Vatican. Des centres furent créés à l’étranger, en particulier en Amérique latine (le premier fut au Venezuela). La congrégation compte de nos jours environ 5 000 religieuses réparties sur 132 pays. Le 4 mars 2016, elle fut victime, comme d’autres organisations, d’un attentat (pas revendiqué par Daech) à Aden, au Yémen, qui a tué seize personnes dont quatre religieuses.

Dans son journal, elle notait : « L’extrême pauvreté vide progressivement l’homme de son humanité. ». Chaque rencontre qui l’a émue a été le point de départ d’une nouvelle action : un mouroir pour accueillir les personnes en fin de vie trop pauvres pour être acceptées par un hôpital (le mouroir de Kalighat fut ouvert le 22 août 1952), un orphelinat pour recueillir et soigner des enfants abandonnés (l’orphelinat de Nirmala Shishu Bavan fut ouvert le 24 novembre 1955), elle proposa des ambulances pour soigner les lépreux (en 1957), etc.

Mère Teresa, qui était opposée à l’avortement, a toujours cherché des solutions alternatives par l’adoption des enfants non désirés : « Toute vie est vie de Dieu en nous. Même l’enfant non encore né a la vie de Dieu en lui. Nous n’avons pas le droit de détruire cette vie, quel que soit le moyen employé et pour quelque raison que ce soit. ».

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Au début des années 1960, Mère Teresa développa ses activités humanitaires au-delà de Calcutta, reçut le soutien du Premier Ministre indien Jawaharlal Nehru. Elle commença à s’exprimer dans des médias (en particulier la BBC) pour rechercher de l’aide (pas seulement financière) et les premières récompenses arrivèrent pour soutenir son action de solidarité. À partir du début des années 1970, Mère Teresa a gagné beaucoup de notoriété internationale. Elle créa en 1976 un nouvel ordre religieux des sœurs contemplatives.

Écoutée et médiatisée, elle a pu ainsi se permettre de fustiger le matérialisme et de prôner un retour sur les valeurs essentielles : « L’amour naît et vit dans le foyer. L’absence de cet amour dans les familles crée la souffrance et le malheur du monde aujourd’hui. Nous avons tous l’air pressé. Nous courons comme des fous après les progrès matériels ou les richesses. Nous n’avons plus le temps de bien vivre les uns avec les autres : les enfants n’ont plus de temps pour les parents, ni les parents pour les enfants, ni pour eux-mêmes. Si bien que c’est de la famille elle-même que provient la rupture de la paix du monde. ».

Prônant la pauvreté pour ses religieuses et refusant une organisation efficace dans la collecte des dons, elle refusa toutes les aides qui se contentaient de lui apporter seulement un soutien financier. Ce qu’elle voulait, c’était une aide humaine concrète : « C’est un capital d’amour qu’il faut réunir. Un sourire, une visite à une personne âgée. Les vrais coopérateurs du Christ sont les porteurs de sa charité. L’argent vient si l’on recherche le royaume de Dieu. Alors tout le reste est donné. ».

Au-delà de son humanisme et de sa grande charité, Mère Teresa fut aussi une personne exceptionnellement courageuse. En 1982 à Beyrouth, elle s’avança avec la Croix-Rouge sur la ligne de front entre l’armée israélienne et les milices palestiniennes pour évacuer de la zone et sauver 37 enfants malades ou blessés. De même, malgré de graves problèmes cardiaques, elle n’a jamais cessé ses activités, voyageant à travers le monde pour apporter son enthousiasme et son espérance.

Courageuse et toujours attentive aux malheurs de l’actualité. Elle se déplaça par exemple le 11 décembre 1984 pour aider les victimes de la catastrophe chimique de Bhopal. Elle aida les victimes du tremblement de terre au Guatemala en 1977, protégea les aborigènes en Australie, s’occupa des réfugiés palestiniens à Amman en 1970, était à Cuba en 1986. Elle n’hésitait pas non plus à accepter de l’aide de pays parfois sous la coupe de dictateurs avérés, car dans son action, elle rejetait toute considération politique.

Insistant sur l’importance de la prière qui était pour elle une nécessité à l’action, elle a en 1995 expliqué assez simplement pourquoi : « Le fruit du silence est la prière. Le fruit de la prière est la foi. Le fruit de la foi est l’amour. Le fruit de l’amour est le service. Le fruit du service est la paix. » (« Un Chemin tout simple »). Jean-Paul II a résumé ainsi : « Contemplation et action, évangélisation et promotion humaine : Mère Teresa proclame l’Évangile à travers sa vie entièrement offerte aux pauvres, mais, dans le même temps, enveloppée par la prière. » (19 octobre 2003).

Le philosophe Emmanuel Lévinas témoignait : « Cette femme peut réunir les hommes beaucoup plus que les livres sacrés et leurs versets. ». Elle disait simplement : « Nous sommes le plus beau des marchés, nous vendons de l’amour. » (1986).

Mère Teresa est morte à 87 ans le 5 septembre 1997 aux urgences de l’hôpital de Calcutta, quelques jours après l’accident tragique de son amie, Lady Diana (qui a couvert médiatiquement la disparition de la religieuse). Sainte Thérèse de Lisieux qui fut son modèle est morte de tuberculose à 24 ans le 30 septembre 1897, quasiment cent ans auparavant. Malgré quelques critiques sur sa notion de souffrance, Mère Teresa a reçu un hommage unanime à sa mort. De très nombreuses personnalités internationales sont venues à ses obsèques, dont Hillary Clinton (en tant que Première dame des États-Unis).

Parce que tout le monde la considérait déjà comme une sainte, l’Église catholique a accéléré la procédure de béatification et de canonisation. Elle fut béatifiée le 19 octobre 2003 à Rome par le pape Jean-Paul II (qui célébrait également son vingt-cinquième anniversaire de pontificat). Le 15 mars 2016, le pape François a pris la décision de la canoniser, et la cérémonie est prévue ce dimanche 4 septembre 2016. Canonisée moins de vingt ans après sa mort, la procédure fut très rapide, mais pas la plus rapide puisque Jean-Paul II lui-même fut canonisé le 27 avril 2014, moins de dix ans après sa mort.

Son identité, voici ce qu’elle en disait elle-même : « Par mon sang, je suis albanaise. Par ma nationalité, indienne. Par ma foi, je suis une religieuse catholique. Pour ce qui est de mon appel, j’appartiens au monde. Pour ce qui est de mon cœur, j’appartiens entièrement au Cœur de Jésus. » (Mère Teresa).

Elle pouvait aller au Vatican sans rendez-vous. Jean-Paul II, dans son homélie de béatification, a ainsi raconté : « Elle se rendait partout pour servir le Christ chez les plus pauvres parmi les pauvres. Même les conflits et les guerres ne réussissaient pas à l’arrêter. De temps en temps, elle venait me parler de ses expériences au service des valeurs évangéliques. » (19 octobre 2003).

Et de rappeler : « Sa vie est un témoignage de la dignité et du privilège du service humble. Elle avait choisi d’être non seulement la dernière, mais la servante des derniers. Véritable mère pour les pauvres, elle s’est agenouillée auprès de ceux qui souffraient de diverses formes de pauvreté. Sa grandeur consiste dans sa capacité à donner sans compter, à donner « jusqu’à souffrir ». Sa vie était une façon radicale de vivre l’Évangile et de le proclamer avec courage. » (Jean-Paul II).

Près de vingt ans après sa mort, la société matérialiste a encore progressé, avec son lot de petits appareils communicants et technologiques qui permettent à fois d’échanger avec l’autre bout du monde mais aussi de ne même plus voir son voisin dans une rame de métro. La canonisation de Mère Teresa a cet intérêt ainsi de revenir sur une destinée humaine extraordinaire qui se dépouille de tout ce qui est inutile pour ne voir que l’essentiel, l’humain en tant que tel.

Bernard Demolon

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