Le Saint-Siège a publié jeudi 26 juin le document de travail (Instrumentum laboris) servant de base à l’assemblée extraordinaire des évêques consacrée à la pastorale familiale, qui se tiendra à Rome du 5 au 19 octobre 2014. Un document qui décortique les grands défis de la famille contemporaine et met en lumière un décalage croissant entre celle-ci et les enseignements de l’Eglise.
Le constat des responsables du Synode des évêques est sans appel : les catholiques, dans leur majorité, ne connaissent pas la doctrine de l’Eglise concernant les questions familiales. Lors de la conférence de presse visant à présenter l’Instrumentum laboris, Mgr Lorenzo Baldisseri, secrétaire général du Synode des évêques, a repris l’avis très tranché formulé il y a quelques mois par le préfet de la congrégation pour la doctrine de la foi (CFD), Mgr Gehrard Müller et que nous évoquions alors.
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Cette synthèse, de 80 pages, rendue publique ce jeudi, est le résultat d’un immense travail de collecte, commencé en début d’année par le conseil du secrétariat général du Synode des évêques, à partir des réponses au questionnaire envoyé l’an dernier. À partir des réponses des conférences épiscopales, mais aussi de diocèses, de paroisses et de mouvements, qui révèlent “beaucoup de joies et d’espérances, mais aussi des incertitudes et des souffrances”, l’Instrumentum laboris présente donc une radioscopie précise de la façon dont le Magistère est perçu par les fidèles.
Le Magistère mal connu par les fidèles
Le texte, s’il relève un désir des fidèles “de mieux connaître l’Ecriture Sainte”, constate que “le peuple de Dieu semble avoir généralement une faible connaissance des documents conciliaires et postconciliaires du Magistère sur la famille”. Certaines réponses confessent “avec franchise que ces documents ne sont pas du tout connus des fidèles”. Les documents de l’Eglise sur la famille sont même perçues par les fidèles “comme des réalités un peu ‘exclusives’”.
“La faute à qui ?”, serait-on tenté de s’interroger. Selon les réponses au questionnaire, ce serait d’abord celle de pasteurs “parfois inadaptés et impréparés à traiter des problématiques qui concernent la sexualité, la fécondité et la procréation, de sorte qu’ils préfèrent souvent ne pas affronter ces thèmes”. Plusieurs réponses évoquent également “une certaine insatisfaction à l’égard de certains prêtres qui apparaissent indifférents par rapport à certains enseignements moraux. Leur désaccord avec la doctrine de l’Église engendre de la confusion au sein du Peuple de Dieu.”
Même quand la doctrine de l’Eglise est connue, “beaucoup de chrétiens manifestent des difficultés à l’accepter intégralement”. Et les rédacteurs du texte d’évoquer certains sujets “chauds” sur lesquels les fidèles montrent “une résistance” : contrôle des naissances, divorce et remariage, homosexualité, concubinage, fidélité, relations avant le mariage, fécondation in vitro… Pour dépasser ces résistances, certaines réponses observent “qu’une plus grande intégration entre spiritualité familiale et morale serait nécessaire”. En un mot : cesser d’asséner des vérités pour favoriser une rencontre personnelle avec le Christ. Et le document d’insister sur “l’insuffisance d’une pastorale soucieuse uniquement d’administrer les sacrements, sans que corresponde à cela une véritable expérience chrétienne impliquant la personne”.
Face au “contraste croissant entre les valeurs proposées par l’Église sur le mariage et la famille et la situation sociale et culturelle diversifiée sur toute la planète” – évoqué longuement à travers les termes de “culture hédoniste”, “relativisme” et “tout, tout de suite” – les évêques notent une première urgence : “former des agents pastoraux capables de transmettre le message chrétien d’une façon culturellement adéquate”.
Loi naturelle et polygamie
L’Instrumentum laboris note un autre point d’achoppement : la loi naturelle, à laquelle les documents du Magistère font souvent référence. “Il s’agit d’une expression qui est perçue différemment ou tout simplement pas comprise”, précise-t-il. Ainsi, de nombreuses conférence épiscopales affirment que “les systèmes législatifs de nombreux pays se trouvent à devoir réglementer des situations contraires à l’ordre traditionnel de la loi naturelle” – fécondation in vitro, unions homosexuelles, manipulation d’embryons humains, avortement – favorisant “la diffusion croissante de l’idéologie appelée gender theory ou théorie du genre”.
Certaines conférences épiscopales (Afrique, Océanie et Asie) notent que “c’est la polygamie qui est considérée comme étant ‘naturelle’”. Sans système de référence commun, la loi naturelle n’est donc plus considérée comme universelle. Face à ces difficultés, les réponses invitent l’Eglise à “communiquer les valeurs de l’Évangile d’une manière compréhensible pour l’homme d’aujourd’hui”, en mettant notamment l’accent sur le rôle de la Parole de Dieu comme “instrument privilégié dans la conception de la vie conjugale et familiale”, à travers des “langages accessibles”.
Cette conception de la loi naturelle influence aussi la question du divorce et du remariage, note le document. “Le nombre de ceux qui considèrent avec négligence leur situation irrégulière est assez important.” Mais cette question n’est pas considérée comme prioritaire par Rome, qui préfère travailler en amont : “Avant de prendre en considération la souffrance de ceux qui sont en situation d’irrégularité (…), l’Église doit prendre en charge une souffrance signalée plus en amont, à savoir celle qui touche à l’échec du mariage.” Cependant, plusieurs Conférences épiscopales mettent l’accent sur la nécessité pour l’Église de se doter d’instruments pastoraux permettant d’exercer “une plus vaste miséricorde, clémence et indulgence par rapport aux nouvelles unions”.
Formation constante
À de nombreuses reprises, les réponses soulignent la nécessité d’une “formation constante et systématique sur la valeur du mariage comme vocation et sur la redécouverte de la parentalité comme don”. L’Instrumentum laboris rappelle d’ailleurs que l’accompagnement du couple ne doit pas se limiter à la préparation au mariage, “pour lequel on signale la nécessité de revoir les parcours” pour une formation “plus structurée”. Les parcours actuels “sont souvent perçus davantage comme une proposition obligatoire que comme une possibilité de croissance”. Sur la question du mariage homosexuel, toutes les Conférences épiscopales se sont exprimées “contre une ‘redéfinition’ du mariage entre un homme et une femme en introduisant une législation permettant l’union entre deux personnes du même sexe”.
Face à des défis si nombreux, la mission du Synode sur la famille s’annonce gigantesque. Le document précise donc que le travail sera fait en deux temps : lors de l’Assemblée générale extraordinaire d’octobre prochain, “les Pères synodaux évalueront et approfondiront les données, les témoignages et les suggestions des Églises particulières, afin de répondre aux nouveaux défis sur la famille”. Un travail qui sera complété lors de l’Assemblée générale ordinaire de 2015, qui “réfléchira plus profondément sur les thématiques affrontées pour définir des lignes d’action pastorales plus appropriées”.
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Le « document de préparation » du Synode des évêques sur la famille
18 Octobre 2013
document de préparation en vue de l’Assemblée extraordinaire du Synode des évêques de 2014
Le secrétaire général du Synode des évêques, Mgr Lorenzo Baldisseri, a envoyé aux Conférences épiscopales un « document de préparation » (lineamenta) en vue de la prochaine Assemblée extraordinaire du Synode, en octobre 2014, sur la famille. Une lettre accompagnant le document recommande qu’il soit « diffusé dès que possible aux doyennés et paroisses » par les diocèses. Le document groupe trois chapitres sous le titre : « Les défis pastoraux de la famille dans le contexte de l’évangélisation. » Le premier souligne le défi pastoral de l’annonce de l’Évangile à la famille ; il annonce qu’une Assemblée générale ordinaire du Synode en 2015 cherchera « des lignes d’action pour la pastorale de la personne humaine et de la famille », après avoir recueilli des témoignages et propositions d’évêques lors de l’Assemblée extraordinaire de 2014. Le chapitre II rappelle les grandes lignes de l’enseignement de l’Église sur la famille. Un dernier chapitre (III) doit permettre « aux Églises particulières de participer activement à la préparation du Synode extraordinaire ». C’est un questionnaire abordant les thèmes sensibles de la pastorale familiale : unions libres, divorcés remariés, unions de personnes de même sexe, moyens de régulation des naissances, éducation des enfants issus de parents en situation matrimoniale irrégulière.
Texte français du Saint-Siège (*)
I. Le Synode : famille et évangélisation
La mission d’annoncer l’Évangile à toutes les créatures a été confiée directement par le Seigneur à ses disciples et l’Église en est le messager dans l’histoire. À l’époque à laquelle nous vivons, l’évidente crise sociale et spirituelle devient un défi pastoral qui interpelle la mission évangélisatrice de l’Église pour la famille, noyau vital de la société et de la communauté ecclésiale.
Proposer l’Évangile sur la famille dans ce contexte s’avère plus que jamais urgent et nécessaire. L’importance du thème se manifeste par le fait que le Saint-Père a décidé d’établir pour le Synode des évêques un itinéraire de travail en deux étapes : la première, l’Assemblée générale extraordinaire de 2014, visant à préciser le status quaestionis et à recueillir les témoignages et les propositions des évêques pour annoncer et vivre de manière crédible l’Évangile de la famille ; la seconde, l’Assemblée générale ordinaire de 2015, pour chercher des lignes d’action pour la pastorale de la personne humaine et de la famille.
Aujourd’hui se présentent des situations inédites jusqu’à ces dernières années, depuis l’augmentation des couples en union libre, qui ne se marient pas et parfois en excluent même l’idée, jusqu’aux unions entre des personnes du même sexe, auxquelles il est souvent consenti d’adopter des enfants. Parmi les nombreuses situations nouvelles qui réclament l’attention et l’engagement pastoral de l’Église, il suffira de rappeler : les mariages mixtes ou interreligieux ; familles monoparentales ; la polygamie ; les mariages arrangés avec le problème de la dot qui en découle, parfois assimilée à un montant d’acquisition de la femme ; le système des castes ; la culture du non-engagement et de la présupposée instabilité du lien ; les formes de féminisme hostiles à l’Église ; les phénomènes migratoires et la reformulation de l’idée même de famille ; le pluralisme relativiste dans la conception du mariage ; l’influence des médias sur la culture populaire pour la conception des noces et de la vie familiale ; les courants de pensée qui inspirent les propositions législatives qui dévaluent la permanence et la fidélité du pacte matrimonial ; l’expansion du phénomène des mères porteuses (location d’utérus) ; les nouvelles interprétations des droits humains. Mais surtout dans le milieu plus strictement ecclésial, l’affaiblissement ou l’abandon de la foi en la sacramentalité du mariage et en la puissance thérapeutique de la pénitence sacramentelle.
De tout cela, on comprend combien est urgente l’attention de l’épiscopat mondial cum et sub Petro face à ces défis. Si, par exemple, on pense au seul fait que dans le contexte actuel tant d’enfants et de jeunes, nés de mariages irréguliers, ne pourront jamais voir leurs parents recevoir les sacrements, on comprend combien sont urgents les défis posés à l’évangélisation de la situation actuelle, par ailleurs répandue partout dans le « village global ». Cette réalité trouve un écho particulier dans l’accueil immense que reçoit de nos jours l’enseignement sur la miséricorde divine et sur la tendresse envers les personnes blessées, dans les périphéries géographiques et existentielles : les attentes qui s’en suivent sur les choix pastoraux à propos de la famille sont énormes. Une réflexion du Synode des évêques sur ces thèmes apparaît donc tant nécessaire et urgente que juste comme l’expression de la charité des pasteurs envers ceux qui leur sont confiés et de la famille humaine tout entière.
II. L’Église et l’Évangile sur la famille
La bonne nouvelle de l’amour divin doit être proclamée à ceux qui vivent cette expérience humaine personnelle fondamentale, de couple et de communion ouverte au don des enfants, qu’est la communauté familiale. La doctrine de la foi sur le mariage doit être présentée d’une manière communicative et efficace, pour qu’elle soit en mesure d’atteindre les cœurs et de les transformer selon la volonté de Dieu manifestée en Jésus-Christ.
Pour ce qui est du rappel des sources bibliques sur le mariage et la famille, on ne reportera ici que les références essentielles. De même, pour les documents du Magistère, il semble opportun de se limiter aux documents du Magistère universel de l’Église, en y ajoutant quelques textes du Conseil pontifical pour la famille et laissant aux évêques participants au Synode le soin de rapporter les documents de leurs organes épiscopaux respectifs.
En tout temps et dans les cultures les plus diverses n’ont jamais fait défaut ni l’enseignement clair des pasteurs ni le témoignage concret des croyants, hommes et femmes, qui en des circonstances très différentes ont vécu l’Évangile sur la famille comme un don incommensurable pour leur vie et celle de leurs enfants. L’engagement pour le prochain Synode extraordinaire est motivé et soutenu par le désir de communiquer à tous ce message, avec une plus grande force, espérant ainsi que « le trésor de la Révélation, confié à l’Église, comble de plus en plus le cœur des hommes » (DV 26) (1).
Le projet du Dieu Créateur et Rédempteur
La beauté du message biblique sur la famille a sa racine dans la création de l’homme et de la femme faits tous deux à l’image et la ressemblance de Dieu (cf. Gn 1, 24-31 ; 2, 4b-25). Unis par un lien sacramentel indissoluble, les époux vivent la beauté de l’amour, de la paternité, de la maternité et de la dignité suprême de participer ainsi à l’œuvre créatrice de Dieu.
Dans le don du fruit de leur union ils assument la responsabilité d’élever et d’éduquer d’autres personnes pour l’avenir du genre humain. À travers la procréation l’homme et la femme accomplissent dans la foi la vocation d’être les collaborateurs de Dieu pour la sauvegarde de la création et la croissance de la famille humaine.
Le bienheureux Jean-Paul II a commenté cet aspect dans Familiaris Consortio (2) : « Dieu a créé l’homme à son image et à sa ressemblance (cf. Gn 1, 26s) : en l’appelant à l’existence par amour, il l’a appelé en même temps à l’amour. Dieu est amour (1 Jn 4, 8) et il vit en lui-même un mystère de communion personnelle d’amour. En créant l’humanité de l’homme et de la femme à son image et en la conservant continuellement dans l’être, Dieu inscrit en elle la vocation, et donc la capacité et la responsabilité correspondantes, à l’amour et à la communion (cf. Gaudium et spes, 12). L’amour est donc la vocation fondamentale et innée de tout être humain » (FC, n. 11). Ce projet du Dieu créateur, que le péché originel a bouleversé (cf. Gn 3, 1-24), s’est manifesté dans l’histoire à travers les vicissitudes du Peuple élu jusqu’à la plénitude des temps, alors qu’avec l’incarnation le Fils de Dieu non seulement confirma la volonté divine de salut, mais avec la rédemption il offrit la grâce d’obéir à cette même volonté.
Le Fils de Dieu, Verbe fait chair (cf. Jn 1, 14) dans le sein de la Vierge Mère vécut et grandit dans la famille de Nazareth et participa aux noces de Cana dont il enrichit la fête avec le premier de ses « signes » (cf. Jn 2, 1-11). Il accepta avec joie l’accueil familier de ses premiers disciples (cf. Mc 1, 29-31 ; 2, 13-17) et consola la famille de ses amis dans leur deuil à Béthanie (cf. Lc 10, 38-42 ; Jn 11, 1-44).
Jésus-Christ a rétabli la beauté du mariage en proposant à nouveau le projet unitaire de Dieu qui avait été abandonné, en raison de la dureté du cœur de l’homme, même au sein de la tradition du peuple d’Israël (cf. Mt 5, 31-32 ; 19, 3-12 ; Mc 10, 1-12 ; Lc 16, 18). En retournant aux origines, Jésus a enseigné l’unité et la fidélité entre les époux, refusant la répudiation et l’adultère.
C’est justement à travers l’extraordinaire beauté de l’amour humain – déjà exalté avec des accents inspirés dans le Cantique des cantiques, et du lien conjugal exigé et défendu par des prophètes comme Osée (cf. Os 1, 2 – 3, 3) et Malachie (cf. Ml 2, 13-16) –, que Jésus a affirmé la dignité originelle de l’amour conjugal entre l’homme et la femme.
L’enseignement de l’Église sur la famille
Dans la communauté chrétienne primitive la famille apparut également comme l’« Église domestique » (cf. CEC 1655). Dans lesdits « codes familiaux » des Lettres apostoliques du Nouveau Testament, la grande famille du monde antique est reconnue comme le lieu de la solidarité la plus profonde entre femmes et maris, entre parents et enfants, entre riches et pauvres (cf. Ep 5, 21 – 6, 9 ; Col 3, 18 – 4, 1 ; 1 Tm 2, 8-15 ; Tt 2, 1-10 ; 1 P 2, 13 – 3, 7 ; cf. aussi la Lettre à Philémon). En particulier, la Lettre aux Éphésiens a reconnu dans l’amour nuptial entre l’homme et la femme « le grand mystère » qui rend présent dans le monde l’amour du Christ et de l’Église (cf. Ep 5, 31 – 32).
Au cours des siècles, surtout dans les temps modernes jusqu’à nos jours, l’Église a produit un enseignement constant et progressif sur la famille et sur le mariage qui la fonde. Une des expressions les plus remarquables a été proposée par le concile œcuménique Vatican II, dans la Constitution pastorale Gaudium et spes (3), qui, en traitant quelques-uns des problèmes les plus urgents, consacre un chapitre entier à la promotion de la dignité du mariage et de la famille, comme cela est montré dans la description de sa valeur pour la constitution de la société : « Ainsi la famille, lieu de rencontre de plusieurs générations qui s’aident mutuellement à acquérir une sagesse plus étendue et à harmoniser les droits des personnes avec les autres exigences de la vie sociale, constitue-t-elle le fondement de la société » (GS 52). L’appel à une spiritualité christocentrique pour les époux croyants est d’une intensité toute spéciale : « Que les époux eux-mêmes créés à l’image d’un Dieu vivant et établis dans un ordre authentique de personnes, soient unis dans une même affection, dans une même pensée et dans une mutuelle sainteté, en sorte que, à la suite du Christ, principe de vie, ils deviennent, à travers les joies et les sacrifices de leur vocation, par la fidélité de leur amour, les témoins de ce mystère de charité que le Seigneur a révélé au monde par sa mort et sa résurrection » (GS 52).
Les successeurs de Pierre également, après le concile Vatican II, ont enrichi par leur Magistère la doctrine sur le mariage et sur la famille, en particulier Paul VI avec l’Encyclique Humanae vitae (4) , qui offre des enseignements spécifiques tant sur les principes que sur la pratique. Successivement, le pape Jean-Paul II dans l’Exhortation apostolique Familiaris consortio voulut insister en proposant le dessein divin à propos de la vérité sur l’origine de l’amour entre époux et celui de la famille : Le « lieu » unique, qui rend possible cette donation selon toute sa vérité, est le mariage, c’est-à-dire le pacte d’amour conjugal ou le choix conscient et libre par lequel l’homme et la femme accueillent l’intime communauté de vie et d’amour voulue par Dieu lui-même (cf. Gaudium et spes, 48), et qui ne manifeste sa vraie signification qu’à cette lumière. L’institution du mariage n’est pas une ingérence indue de la société ou de l’autorité, ni l’imposition extrinsèque d’une forme ; elle est une exigence intérieure du pacte d’amour conjugal qui s’affirme publiquement comme unique et exclusif pour que soit vécue ainsi la pleine fidélité au dessein du Dieu créateur. Cette fidélité, loin d’amoindrir la liberté de la personne, la met à l’abri de tout subjectivisme et de tout relativisme, et la fait participer à la Sagesse créatrice » (FC, 11).
Le Catéchisme de l’Église catholique recueille ces données fondamentales : « L’alliance matrimoniale, par laquelle un homme et une femme constituent entre eux une intime communauté de vie et d’amour, a été fondée et dotée de ses lois propres par le Créateur. De par sa nature elle est ordonnée au bien des conjoints ainsi qu’à la génération et à l’éducation des enfants. Elle a été élevée entre baptisés par le Christ Seigneur à la dignité de sacrement [Cf. conc. œcum. Vat. II, Gaudium et spes, 48 ; Code de droit canonique, 1055, 1] » (CEC 1660).
La doctrine exposée dans le Catéchisme considère tant les principes théologiques que les comportements moraux, traités sous deux titres distincts : le sacrement du mariage (n. 1601-1658) et le sixième commandement (n. 2331-2391). La lecture attentive de ces parties du Catéchisme fournit une compréhension moderne de la doctrine de la foi pour soutenir l’action de l’Église face aux défis contemporains. Sa pastorale trouve son inspiration dans la vérité du mariage considéré selon le dessein de Dieu qui a créé l’homme et la femme et qui, dans la plénitude des temps, a révélé en Jésus également la plénitude de l’amour entre époux élevé au niveau de sacrement. Le mariage chrétien, fondé sur le consentement, est aussi doté d’effets propres tels que les biens et les devoirs des époux, toutefois il n’est pas affranchi du régime du péché (cf. Gn 3,1-24) qui peut procurer des blessures profondes et aussi des dégradations à la dignité même du sacrement.
L’Encyclique récente du pape François, Lumen fidei (5), traite de la famille dans son rapport avec la foi qui révèle « combien les liens entre les hommes peuvent être forts, quand Dieu se rend présent au milieu d’eux » (LF 50). « Le premier environnement dans lequel la foi éclaire la cité des hommes est donc la famille. Je pense surtout à l’union stable de l’homme et de la femme dans le mariage. Celle-ci naît de leur amour, signe et présence de l’amour de Dieu, de la reconnaissance et de l’acceptation de ce bien qu’est la différence sexuelle par laquelle les conjoints peuvent s’unir en une seule chair (cf. Gn 2, 24) et sont capables d’engendrer une nouvelle vie, manifestation de la bonté du Créateur, de sa sagesse et de son dessein d’amour. Fondés sur cet amour, l’homme et la femme peuvent se promettre l’amour mutuel dans un geste qui engage toute leur vie et rappelle tant d’aspects de la foi. Promettre un amour qui soit pour toujours est possible quand on découvre un dessein plus grand que ses propres projets, qui nous soutient et nous permet de donner l’avenir tout entier à la personne aimée » (LF 52). « La foi n’est pas un refuge pour ceux qui sont sans courage, mais un épanouissement de la vie. Elle fait découvrir un grand appel, la vocation à l’amour, et assure que cet amour est fiable, qu’il vaut la peine de se livrer à lui, parce que son fondement se trouve dans la fidélité de Dieu, plus forte que notre fragilité » (LF 53).
III. Questionnaire
Les questions ci-dessous permettent aux Églises particulières de participer activement à la préparation du Synode extraordinaire qui a pour but d’annoncer l’Évangile dans les défis pastoraux d’aujourd’hui concernant la famille.
1. Sur la diffusion des Saintes Écritures et du Magistère de l’Église concernant la famille
a) Quelle est la connaissance réelle des enseignements de la Bible, de Gaudium et spes, de Familiaris consortio et des autres documents du Magistère postconciliaire sur la valeur de la famille selon l’Église catholique ? Comment nos fidèles sont-ils formés à la vie familiale selon l’enseignement de l’Église ?
b) Là où l’enseignement de l’Église est connu, est-il intégralement accepté ? Est-ce que des difficultés se vérifient dans sa mise en pratique ? Lesquelles ?
c) Comment l’enseignement de l’Église est-il dispensé dans le cadre des programmes pastoraux au niveau national, diocésain et paroissial ? Quelle est la catéchèse sur la famille ?
d) Dans quelle mesure – et en particulier sur quels aspects – cet enseignement est-il réellement connu, accepté, refusé et/ou critiqué dans les milieux extra ecclésiaux ? Quels sont les facteurs culturels qui empêchent la pleine réception de l’enseignement de l’Église sur la famille ?
2. Sur le mariage selon la loi naturelle
a) Quelle place occupe la notion de loi naturelle dans la culture civile, tant au niveau institutionnel, éducatif et académique, qu’au niveau populaire ? Quelles conceptions de l’anthropologie sont à la base de ce débat sur le fondement naturel de la famille ?
b) La notion de loi naturelle à propos de l’union entre un homme et une femme est-elle couramment acceptée en tant que telle par les baptisés en général ?
c) Comment, en pratique et en théorie, la loi naturelle sur l’union entre un homme et une femme en vue de la formation d’une famille est-elle contestée ? Comment est-elle proposée et approfondie dans les organismes civils et ecclésiaux ?
d) Si des baptisés non pratiquants ou ceux qui se déclarent non-croyants demandent la célébration du mariage, comment affronter les défis pastoraux qui en découlent ?
3. La pastorale de la famille dans le contexte de l’évangélisation
a) Durant ces dernières dizaines d’années, quelles sont les expériences nées concernant la préparation au mariage ? Comment a-t-on cherché à stimuler le devoir d’évangélisation des époux et de la famille ? Comment promouvoir la conscience de la famille comme « Église domestique » ?
b) Êtes-vous parvenus à proposer des styles de prière en famille qui réussissent à résister à la complexité de la vie et de la culture actuelle ?
c) Dans la situation actuelle de crise entre les générations, comment les familles chrétiennes ont-elles su réaliser leur vocation propre de transmission de la foi ?
d) De quelle manière les Églises locales et les mouvements de spiritualité familiale ont-ils su créer des parcours pouvant servir d’exemple ?
e) Quel est l’apport spécifique que les couples et les familles ont réussi à donner quant à la diffusion d’une vision intégrale du couple et de la famille chrétienne qui soit crédible aujourd’hui ?
f) Quelle attention pastorale l’Église a-t-elle montré pour soutenir le cheminement des couples en formation et des couples en crise ?
4. Sur la pastorale pour affronter certaines situations matrimoniales difficiles
a) Le concubinage ad experimentum est-il une réalité pastorale importante dans votre Église particulière ? À quel pourcentage pourrait-on l’estimer numériquement ?
b) Existe-t-il des unions libres, sans reconnaissance aucune, ni religieuse ni civile ? Y a-t-il des données statistiques sûres ?
c) Les séparés et les divorcés remariés sont-ils une réalité pastorale importante dans votre Église particulière ? À quel pourcentage pourrait-on l’estimer numériquement ? Comment affronter cette réalité au moyen de programmes pastoraux adaptés ?
d) Dans tous ces cas, comment les baptisés vivent-ils leur situation irrégulière ? Ils en sont conscients ? Manifestent-ils simplement de l’indifférence ? Se sentent-ils écartés et vivent-ils avec souffrance l’impossibilité de recevoir les sacrements ?
e) Quelles sont les demandes que les personnes divorcées et remariées adressent à l’Église à propos des sacrements de l’Eucharistie et de la réconciliation ? Parmi les personnes qui se trouvent dans ces situations, combien demandent ces sacrements ?
f) La simplification de la pratique canonique pour la reconnaissance de la déclaration de nullité du lien matrimonial pourrait-elle offrir une réelle contribution positive à la solution des problèmes des personnes concernées ? Si oui, sous quelles formes ?
g) Existe-t-il une pastorale spécifique pour traiter ces cas ? Comment cette activité pastorale se déroule-t-elle ? Existent-ils des programmes à ce propos au niveau diocésain et national ?
Comment la miséricorde de Dieu est-elle annoncée aux personnes séparées et aux divorcés remariés ; comment le soutien de l’Église dans leur cheminement de foi est-il mis en acte ?
5. Sur les unions de personnes du même sexe
a) Existe-t-il dans votre pays une loi civile qui reconnaisse aux unions de personnes du même sexe une quelconque équivalence au mariage ?
b) Quel est le comportement des Églises particulières et locales tant envers l’État promoteur d’unions civiles entre personnes du même sexe, qu’envers les personnes impliquées dans ce type d’union ?
c) Quelle attention pastorale est-il possible d’avoir envers des personnes qui ont choisi de vivre selon ce type d’unions ?
d) En cas d’unions entre personnes du même sexe qui aient adopté des enfants quel comportement pastoral tenir en vue de la transmission de la foi ?
6. Sur l’éducation des enfants au sein de situations de mariages irréguliers
a) Quelle est la proportion estimée de ces enfants et adolescents dans ces cas par rapport à celle d’enfants nés et élevés au sein de familles constituées selon les règles ?
b) Dans quel état d’esprit les parents s’adressent-ils à l’Église ? Que demandent-ils ? Uniquement les sacrements ou également la catéchèse ?
c) Comment les Églises particulières répondent-elles au besoin des parents de ces enfants pour leur offrir une éducation chrétienne ?
d) Comment la pratique sacramentelle se déroule-t-elle dans ces cas-là : préparation, administration et accompagnement du sacrement ?
7. Sur l’ouverture des époux à la vie
a) Quelle connaissance concrète les chrétiens ont-ils de la doctrine d’Humanae vitae sur la paternité responsable ? Quelle conscience a-t-on de l’évaluation morale des différentes méthodes de régulation des naissances ? Du point de vue pastoral quels approfondissements pourraient être suggérés à ce propos ?
b) Cette doctrine morale est-elle acceptée ? Quels sont les aspects les plus problématiques qui en rendent difficile l’acceptation par la plupart des couples ?
c) Quelles méthodes naturelles sont promues par les Églises particulières pour aider les conjoints à mettre en pratique la doctrine d’Humanae vitae ?
d) Quelle est l’expérience sur ce thème dans la pratique du sacrement de la réconciliation et dans la participation à l’Eucharistie ?
e) Quels contrastes apparaissent-ils à ce propos entre la doctrine de l’Église et l’éducation civile ?
f) Comment promouvoir une mentalité plus ouverte envers la natalité ? Comment favoriser la croissance des naissances ?
8. Sur le rapport entre la famille et la personne
a) Jésus-Christ révèle le mystère et la vocation de l’homme : la famille est-elle un lieu privilégié pour que ceci arrive ?
b) Quelles situations critiques de la famille dans le monde d’aujourd’hui peuvent-elles devenir un obstacle à la rencontre de la personne avec le Christ ?
c) Dans quelle mesure les crises de foi que les personnes peuvent traverser ont-elles une incidence sur la vie familiale ?
9. Autres défis et propositions
À propos des thèmes traités dans ce questionnaire, y a-t-il d’autres défis et propositions que vous considérez comme urgents ?
(*) Titre et notes de La DC.
(1) Concile Vatican II, Constitution dogmatique Dei Verbum sur la Révélation divine. DC 1966, n. 1462, col. 15.
(2) Exhortation apostolique post-synodale Familiaris consortio (FC), DC 1982, n. 1821, p. 1-43.
(3) Concile Vatican II, Constitution dogmatique Gaudium et spes (GS) sur l’Eglise dans le monde de ce temps, DC 1966, n. 1464, 193-280.
(4) Lettre encyclique Humanae vitae sur la régulation des naissances, DC 1968, n. 1523, col. 1441-1457.
(5) DC 2013, n. 2512, p. 6-32.
L’accueil des divorcés remariés, le casse-tête des cardinaux pendant le consistoire
La place, dans l’Église catholique, des personnes divorcées et remariées a été le sujet le plus débattu par les cardinaux réunis en consistoire extraordinaire sur la famille, jeudi 20 et vendredi 21 février.
L’idée d’un chemin de pénitence a été discutée, mais l’absence de consensus montre un Collège cardinalice divisé, à qui le pape a demandé instamment de lui « demeurer proche ».
Des couples s’embrassent face à Saint-Pierre. Au bout d’une rue surplombant le Vatican, le point de vue est couru pour admirer, en amoureux, les lignes saisissantes de beauté de la basilique. Quel regard pose en retour l’Église sur tous ces couples plus ou moins solides, à l’engagement par moments vacillant, sinon inexistant, à la tête d’une famille parfois recomposée, et qui viennent frapper à sa porte ?
C’est la redoutable question dont ont dû se saisir 150 cardinaux du monde entier, convoqués par le pape François en consistoire extraordinaire, en fin de semaine dernière. La famille a été l’unique sujet à l’ordre de ces deux jours de discussion à huis clos, au regret de certains cardinaux.
« La famille aujourd’hui est dépréciée, elle est maltraitée, et ce qui nous est demandé, c’est de reconnaître combien il est beau, vrai et bon de former une famille, d’être une famille aujourd’hui ; combien c’est indispensable pour la vie du monde, pour l’avenir de l’humanité », a justifié le pape dans son adresse ouvrant le consistoire, demandant aux cardinaux de chercher « la pastorale que nous devons mettre en œuvre dans les conditions actuelles ».
une question qui cristallise les tiraillements de l’Église
Les difficultés des personnes divorcées qui se sont remariées hors de l’Église et se retrouvent privées de l’accès aux sacrements, en particulier de l’Eucharistie, ont été le sujet de la plupart des 69 interventions. « Ce fut la question la plus abordée par les cardinaux », confirment plusieurs sources. Avec chacun sa réponse devant cet épineux problème. « Évidemment, les théologiens ont parlé en théologiens, les canonistes, en canonistes », observe le cardinal Philippe Barbarin, archevêque de Lyon.
Entre vérité et charité, entre le droit canon et la souplesse pastorale de son respect, entre fidélité à la parole du Christ et à la miséricorde de Dieu, la question des divorcés remariés, même si elle reste très occidentale, cristallise les tiraillements de l’Église, devenant un casse-tête juridique et un crève-cœur pastoral.
Les cardinaux quittaient la salle de réunion du Vatican vendredi soir sans cacher leur impression d’être encore devant une « nébuleuse », selon l’expression de l’un d’eux parlant aussi de « crise ». « Nous sommes au seuil d’un chemin de patience », résume le cardinal Reinhard Marx, archevêque de Munich. De fait, comme l’a rappelé le pape François en conclusion, ce consistoire sur la famille s’inscrit dans une démarche de deux ans sur ce thème, jalonnée de deux synodes, au terme desquels il devra prendre une décision.
indispensable consensus
Le cadre ainsi posé n’est pas celui d’une négociation technique entre parties devant déboucher sur un compromis, mais d’avancer selon le discernement cher au pape jésuite, qui veut épargner un déchirement au sein de l’Église catholique sur cette question. Son souci d’associer les sensibilités de divers continents se retrouve dans son choix des trois cardinaux pour présider le Synode d’octobre prochain sur la pastorale familiale : André Vingt-Trois, archevêque de Paris, Luis Antonio Tagle, archevêque de Manille (Philippines) et Raymundo Damasceno Assis, archevêque d’Aparecida (Brésil).
Il faut que les cardinaux « trouvent un consensus, non un compromis sur la question », a aussi appuyé le cardinal Walter Kasper dans un entretien au quotidien Il Messaggero, vendredi. C’est lui qui a ouvert le consistoire, à la demande du pape. Le cardinal Marx lui avait conseillé de faire appel à ce théologien allemand respecté de 80 ans, coauteur d’un texte ouvert à l’accueil des divorcés remariés publié en 1993 outre-Rhin. Cette fois, au cours d’un exposé de deux heures devant les cardinaux, Walter Kasper a évoqué leur réadmission au terme d’un chemin de pénitence.
Mais le chaleureux hommage public du pape, le lendemain, à l’intervention du cardinal allemand laisse entendre que celle-ci est loin d’avoir convaincu ses pairs. Faciliter les actes de nullité du mariage, objet de fréquents recours aux États-Unis, semble encore moins faire consensus, plusieurs jugeant cette solution hypocrite. Le cardinal Christoph Schönborn est quant à lui intervenu pour rappeler la douleur des enfants devant tout divorce.
le pape François appelle à l’unité
Sachant qu’il faudra du temps, le cardinal Roger Etchegaray sort de ce consistoire en sentant malgré tout « pointer un début de solution ». « La miséricorde est le premier nom de Dieu », rappelle le cardinal français de 91 ans, insistant : « Depuis le péché, s’est montré l’amour, enveloppé du manteau de la miséricorde. »
Au-delà des questions de la famille qui les divisent, le pape François a dit en public aux cardinaux d’éviter « intrigues, bavardages, cercles, favoritismes, préférences », dans son homélie dimanche. « Restons unis », les a-t-il instamment priés à la fin. « Je vous demande de me demeurer proche », a-t-il encore insisté, trahissant des prises de distance à son égard près d’un an après son élection. À l’angélus qui a suivi, il leur a encore demandé de travailler à l’unité de l’Église.
Sébastien Maillard, à ROME