201412 – Des nouvelles de République de Guinée
La Sainte Famille
« Les bergers vinrent en hâte, et ils trouvèrent Marie et Joseph,
avec le nouveau-né couché dans une crèche. »
A la lumière de la situation de ma famille au coeur de l’épidémie de la fièvre Ebola, deux images de crèches familiales s’offrent à la visite des bergers qui viennent en hâte dans mon village :
La première image d’une crèche familiale, celle de ma nièce, où l’on trouve une mère sans enfant et sans époux, la seconde image, celle de ma petite nièce, où l’on trouve une crèche familiale sans mère.
Les bergers, tout surpris, se tournent vers moi pour me demander : « Mais où sont partis l’enfant et son père qui manquent dans la crèche de ta nièce ? Et la mère qui manque dans la crèche de ta petite nièce ? » Et moi de répondre : « Ils sont tous partis, fauchés par l’épidémie de la fièvre Ebola, au moment où les miens et chaque famille dans le monde construisait sa crèche familiale pour accueillir votre visite. » En effet, Ibrahima Sorry, le petit enfant de la première crèche, a été fauché le 16 Décembre, une semaine après son père.
Ma petite nièce, mère absente dans la deuxième crèche familiale, N’Mah Conté Sylla, a été fauchée le 24 Décembre, au moment où la nuit de l’Enfant de Noël recouvrait toute la terre et m’offrait l’occasion, les temps étant accomplis, d’aller annoncer à mon peuple chrétien de Kindia une grande nouvelle, qui se résume en ces termes : « Un Enfant nous est né, un Fils nous est donné, éternelle est sa puissance. »
C’est à ce moment précis de la proclamation solennelle de la joie de Noël que l’enfant de ma petite nièce a été définitivement sevré de la présence de sa mère. Comment alors faire éclater de joie et multiplier l’allégresse ? Je n’ai pas ramené à la maison le butin de la victoire sur l’épidémie de la fièvre Ebola…
Et moi, en prenant la parole devant mon peuple, au–delà de l’exhortation à la joie légitimement attendue, je disais au Seigneur, au plus profond de moi-même de mon abîme, de ma détresse, de ma souffrance, des ténèbres de l’épreuve de la foi : « Seigneur, si tu avais été là, les miens ne seraient pas morts. Ils n’auraient pas déserté leur crèche familiale. »
Et les bergers de me dire, à la fin de leur visite, par la voix de Saint Jean : « …Par l’Enfant de Noël, tout s’est fait, et rien de ce qui s’est fait ne s’est fait sans lui. En lui était la vie, et la vie était la lumière des hommes ; la lumière brille dans les ténèbres, et les ténèbres ne l’ont pas arrêtée. »
A genoux devant la crèche en cette nuit de Noël, au début de la célébration, avant d’y encenser la présence de la Sainte Famille de Joseph, de Marie et de leur Enfant-Dieu, j’ai renouvelé ma foi en Celui qui est venu chez les siens et a été reçu par eux, afin de pouvoir devenir enfants de Dieu, afin de comprendre avec les miens profondément et humblement croyants musulmans, au-delà de nos liens familiaux de chair et de sang, d’une volonté charnelle, d’une volonté d’homme, que la foi est une naissance en Dieu.
Je souhaite à toutes vos familles une sainte fête de la Sainte Famille en présence et dans la contemplation de vos crèches familiales. Je sais que chaque famille y évoquera l’absence d’un enfant, d’un père, d’une maman, d’un époux, d’une épouse, d’un neveu, d’une nièce, d’un petit fils, d’une petite fille, d’un frère, d’une soeur, d’un grand-père, d’une grand-mère, d’un oncle, d’une tante, etc., à la lumière de l’histoire de sa propre famille, rejoignant ainsi l’histoire de ma propre famille dans le tourment de l’épidémie de la fièvre Ebola, dans la communion de foi en Celui qui est venu prendre toute la place dans les crèches de nos familles, pour les éclairer de sa lumière de Verbe qui s’est fait chair et a habité parmi nous.
Quel bien sortira de cette épreuve ténébreuse et mystérieuse ? Nous l’enfantons dans la douleur…
Avec les bergers, nous nous rendons ainsi visite les uns aux autres, « unis par les liens de l’amour du Seigneur, avant de nous retrouver pour l’éternité dans sa maison. » Bonne et Sainte fête à nos familles, à la lumière de l’humble Famille de Dieu qui a construit sa crèche parmi nous !
Père André Mamadouba Camara
INFORMATIONS
- Quelques images de la vie de la paroisse, en route vers Noël et pendant la fête de Noël
Nous avons organisé des concours de meilleure représentation de veillée de Noël et de la plus
belle crèche entre les CCB.
Les résultats suivants ont donné :
– pour la représentation de la nativité : CCB Saint Georges de Dornéryah
– pour le ballet : les CVAV
– pour le choeur : les scouts.
Le concours pour la plus belle crèche a donné les résultats suivants, après la visite des prêtres de la paroisse :
Les enfants ont occupé une place importante dans les célébrations de Noël, qui ont pris fin, comme pour tous les grands évènements de la paroisse, au pied de la Croix du centenaire et de Notre Dame du Kanya.
Les vicaires, Père Raphaël et Père Philippe sont rentrés de leur tournée pastorale dans les succursales. A Télémélé, Père Raphaël a été confronté à la résurgence de l’épidémie de la fièvre Ebola dans la région, à cause de la résistance des populations à adhérer aux mesures de prévention et d’exfiltration des malades de leurs familles.
- Visite de condoléances dans ma famille au village
J’y suis allé avec quelques membres du conseil paroissial dans l’après-midi du 25 Décembre, Jour de Noël, accueilli dans le silence qui habitait les lieux.
La soeur aînée, père et mère de notre famille en l’absence des parents défunts, est celle qui est frappée en particulier par la série de décès, perdant sa petite fille N’Mah Conté Sylla et le fils de cette dernière, Ibrahima Sorry Sylla, car l’épidémie a sévi dans leur village d’à côté du mien en fauchant 15 personnes, et donc n’a pas épargné la famille de ma nièce Nana Sylla qui a perdu son époux, et celle de ma petite nièce décédée le 24 Décembre.
Après la présentation des condoléances d’usage, tous les regards étaient tournés vers moi, l’unique oncle et grand’oncle de la famille, étant l’unique garçon au milieu de mes cinq soeurs, dont deux nous ont précédés dans la mort.
Ces regards silencieux étaient devenus insupportables pour moi, car je les accueillais comme une interrogation lancinante adressée à celui qui, de fait, selon la coutume, est le garant, la référence de la vie de la grande famille de soeurs, de neveux, de petits neveux et arrière petits neveux et nièces.
Cette interrogation se résume en ces mots : « Toi, notre frère, toi notre oncle, notre grand’oncle, notre grand’père, le garant de notre famille, que dis-tu de tout cela, de ce qui passe dans notre famille ? Nous t’avons remis, dans la détresse, les nôtres et voilà que certains ne fouleront plus ces lieux, nous ne les reverrons plus parmi nous. Qu’en penses-toi ? Quelle autre assurance tu peux nous donner pour ceux qui sont encore retenus à l’hôpital, au centre de traitement de la fièvre Ebola, car nous n’arrivons plus à dormir, nous sursautons dans nos lits la nuit, guettant la dernière information sur leur sort, le dernier appel téléphonique les concernant ? Nous n’avons pas pu revoir les corps de nos défunts, ils n’ont pas eu droit à des funérailles dignes de ce nom, à cause de cette maladie que quelqu’un a justement qualifiée d’inhumaine, parce qu’elle coupe des relations humaines du toucher, de la proximité, des sentiments maternels et paternels, amicaux et fraternels ? »
Mais pour moi, au-delà du lien de sang, cette question s’adressait aussi à l’homme de Dieu, au prêtre que je suis. Elle était une question de foi : « en puisant dans les ressources de ta vie de foi, quelle parole d’espérance, de sens, peux-tu adresser aux tiens ? »
J’aurais voulu leur dire que moi aussi, je ne dors plus, que je suis dans l’angoisse, que j’ai peur de décrocher mon téléphone quand l’appel vient de Conakry, que j’ai peur d’appeler pour demander et donner des nouvelles des nôtres retenus à l’hôpital, que je souffre plus qu’eux du poids de ma responsabilité.
Comme Moïse acculé et pressé de trouver de l’eau pour étancher la soif de son peuple dans le désert, moi aussi, je me suis tourné vers Dieu pour lui transmettre la détresse des miens et ma propre angoisse. Je lui ai demandé de me rendre fort pour tenir devant les miens et devant lui, dans le doute de la foi qui hésite à faire sortir de l’eau du rocher dur de notre manque de confiance en la parole de Dieu, en la promesse de Dieu…
Combien souhaitons-nous que ceux qui sont partis en pleurant, portant en eux la semence de l’épidémie de la fièvre Ebola, s’en reviennent en chantant, portant la moisson de la guérison, pour le « petit reste » ?
Dans ce climat de douleur partagée dans le silence, au moment de les quitter, la soeur aînée a traduit l’attitude profonde de tous les membres de la famille dans ces mots qui ont soulagé l’homme de Dieu que je suis : « Nous regardons vers Dieu, nous guettons sa volonté. »
Avec eux, je regarde vers Dieu, je guette sa volonté, dans l’attente des nouvelles de Conakry. Le temps de l’Avent est toujours d’actualité dans nos vies. Le Seigneur sera toujours attendu, il ne cessera jamais de venir nous rendre espoir…
Merci pour tous les messages de compassion et de solidarité.
Père André Mamadouba Camara, curé
20121223 – les voeux de Sr Miryam
Jouarre, 23 décembre 2012
En cette période d’échanges de vœux, j’ai à cœur de transmettre une belle expérience de lien « France-Afrique », vécue en 2012, dans la Communauté Ste Croix de Friguiagbé, en Guinée Conakry, dans le cadre de l’entraide entre les monastères de notre Fédération du Cœur Immaculé de Marie.
Envolée le 17 juillet dans le même avion que la Prieure, M Raphaël, je me suis embarquée pour 3 mois d’aventure « Guinée ». Aventure me semble un mot juste, car c’est ce que j’y ai rencontré, quasi chaque jour, avec aussi la marque de l’action de l’Esprit !
Quelques aperçus sous modes de flashes :
Nous y étions loin des sécurités de nos grands monastères français ! Là-bas, j’ai vite compris que nous sommes dépendantes des éléments naturels : pluies torrentielles de la saison des pluies, orages qui peuvent couper électricité et pompe à eau, voisinage souvent insécurisant avec une faune locale qui peut approcher de très près ! serpents ou scorpions ! et cependant n’intimide pas nos sœurs !
Mais aussi et surtout, nous sommes en relation de vie avec tout un peuple guinéen qui a accueilli la communauté voici 16 ans, et dont je reprends un témoignage, entendu lors du deuil de la petite fille du chef de district. « J’étais là lorsque vous êtes arrivées. J’ai fait le discours d’inauguration au monastère. Depuis, nous vous voyons vivre. Nous voyons que vous faites tout ce que vous pouvez pour nous, vous nous donnez du travail, vous prenez part à nos joies et nos peines… » et de demander : « que pouvons-nous faire pour vous ? ». Ces paroles sont énoncées par un ancien du village, musulman. Elles disent que la communauté s’insère dans tout un réseau de voisinage, de travail, de collaboration et d’entraide –ethnies et religions confondues-…
J’ai été touchée par l’énergie que déploient nos sœurs au quotidien. La vie est parfois austère : il faut tenir ensemble les services quotidiens : lessive, lingerie, cuisine, entretien des bâtiments, dans un contexte où le matériel s’abîme, où les réparations-dépannages prennent beaucoup d’énergie (Conakry est à plus de 3h de mauvaise route, en saison des pluies). Tenir aussi le gagne-pain : « poulailler de pondeuses »–qui est à lui seul une vraie entreprise. Il fournit du travail à plusieurs familles. Il faut aussi pour les sœurs, coordonner la production avec la fabrication d’aliment chez les moines tout proches de Segueya. Et aujourd’hui, elles lancent un projet de production de maïs pour les 6000 poules. Et pour pimenter le tableau, ces réalisations se vivent dans un contexte où l’imprévu est presque quotidien, et où il faut avoir le sens de l’adaptation ! Tout ceci au cœur d’une vie monastique très régulière avec un office liturgique de déploiement très semblable à celui de ma communauté briarde, et désormais avec cette ouverture d’espérance d’un noviciat qui compte deux jeunes sœurs à former.
Nos sœurs sont en relation de grande communion avec le monastère de Maumont en Charente, et j’ai admiré ce lien de filiation qui fut particulièrement évident lors de la profession de Sr Marie-Bénédicte, le 8 septembre. J’ai alors vu cette transmission en actes. Et je dois vous dire ma très grande joie d’avoir été présente à cette belle célébration. J’y étais aussi au nom des monastères de France de la Fédération, et c’est ainsi que j’ai été invitée à « accueillir » la professe dans notre corps bénédictin fédéral.
Quelle découverte de l’Afrique en ces quelques mois ?
La vie en Guinée est matériellement difficile pour une grande partie de la population. Nos sœurs partagent et aident beaucoup. L’Accueil y est ce que demande Benoît : un lieu où frappent ceux qui recherchent prière et ressourcement. Dans cette Eglise locale, les deux monastères bénédictins sont les seuls de vie contemplative. On croise des Sœurs et frères de St Jean, ou de St Joseph de Cluny, ou de l’institut diocésain Notre Dame de Guinée. Tous ont beaucoup à faire en œuvres d’éducation, de soins, et de formation chrétienne. En ce domaine, une Ecole de la Parole, rassemble en été une nombreuse jeunesse chrétienne, chez les frères et sœurs de St Jean. J’ai eu le sentiment que des jeunes filles sont attirées par la vie bénédictine, et que l’avenir est plein de promesses.
Il faudrait aussi évoquer la place des religions ancestrales et de la culture africaine, dans la rencontre avec la foi chrétienne. Des prêtres guinéens y réfléchissent et l’enjeu est grand, car beaucoup de fidèles vivent la « double appartenance » : chrétienne et croyances ancestrales. Cette réflexion rejoint bien le mouvement ouvert par le Dialogue Inter-religieux Monastique. Mais il est sûr que ce sera aux Sœurs et Frères africains de travailler à ce discernement, avec leurs propres cultures, sensibilité, foi. La Guinée est actuellement moins outillée que d’autres pays d’Afrique de l’Ouest sur ce plan, mais lorsque la vie monastique y sera profondément implantée, on sent que ses cultures propres auront leur voix à faire entendre. (Lire l’écho de la profession de Sr Marie-Bénédicte dans la « Chronique de Friguiagbé » ci-dessous).
Découverte aussi de l’Afrique dans son contraste socio-économique : la Guinée, riche de tant de ressources naturelles et d’eau, ne parvient cependant pas encore à offrir les sécurités de base à l’ensemble de sa population ; incertitudes politiques, difficultés à faire naître une « démocratie participative » … il faut pourtant noter l’extraordinaire foisonnement de vie qui marque le continent. Les valeurs de solidarité familiale, tribale, de région également (il y a les Soussous, les Guerzés, les Kissis, les Malinkés, les Bassaris, les Peuls, etc…), m’ont impressionnée. Ici, on ne peut pas vivre seul. Des relais existent, pour les enfants sans parents comme pour les grand-parents dépendants, et c’est un très beau témoignage d’humanité.
Trois mois, c’est à la fois long, mais aussi bien court, quand on constate tout ce qui est à vivre, à faire…
Merci à mon Abbesse, à ma communauté, de m’avoir permis ce séjour, et un immense Merci à Mère Raphaël et à nos sœurs de Friguiagbé de m’avoir accueillie comme l’une des leurs. Je me suis vraiment sentie chez moi !
Bonne Année dans la Lumière et la Paix qui rayonne de la crèche,
à vous et à tous les vôtres !
Sr Miryam
Abbaye de Jouarre
Chronique de Friguiagbé
Sr Miryam
Bénédictine de Jouarre – trois mois en Guinée
Monastère Sainte Croix de Friguiagbé
Mission catholique
BP 2016 Conakry
GUINEE
Friguiagbé, le 23 septembre 2012
Chers amis,
Mes dernières nouvelles remontent à début août, ça fait un peu loin, et énormément de choses à partager… aussi, je me contenterai à nouveau d’un regard un peu fragmentaire sur le vécu depuis 2 mois en Guinée…
Tout d’abord, un étonnement et une action de grâce : pour l’européenne que je suis, l’adaptation physique s’est faite admirablement : et au climat, et à la nourriture guinéenne (« riz sauce » principalement, mais une sauce très élaborée, confectionnée à l’africaine, et je n’arrive pas à en découvrir la composition…) tout cela cuit sur feu de bois !
Je vous avais un peu parlé de la faune, et du climat tropical : nous sommes toujours en saison des pluies, ce qui signifie que tous les jours, il y a une période « pluies » très marquée. Mais je trouve qu’elles diminuent en longueur, et également sont moins fréquentes la nuit. J’ai d’abord été vraiment surprise de leur violence, et de l’incroyable abondance de ces cataractes, qui vers la fin août équivalaient largement en 20 minutes, à 15 jours de pluviométrie printanière en Seine et Marne !!
Il y a aussi les moustiques, et donc les ravages d’un paludisme pernicieux, auquel personne n’échappe, tant nos voisins, qu’ouvriers et sœurs. Je crois que la question du vaccin est une affaire de gros sous, et que les grands laboratoires pharmaceutiques ne tiennent pas à perdre le marché des médicaments contre le Palu. Une honte sanitaire parmi beaucoup qui me sautent davantage aux yeux au fur et à mesure des semaines.
La communauté de 6 sœurs dont deux africaines vit encore sur le mode d’une « fondation », avec un rythme que je trouve soutenu : c’est-à-dire : l’office liturgique monastique intégral, du type de celui de Jouarre, ainsi qu’une vie de travail/lectio, où chacune essaie de maintenir l’équilibre bénédictin. Mais, vue la quantité et variété des sollicitations, cela demande un bon discernement.
Pour ma part, je travaille quasi à temps plein désormais à l’élevage de volailles du monastère. La sœur responsable étant retournée en France en ce moment pour un repos bien mérité, je la remplace pour la partie du suivi technique et sanitaire, ainsi que pour le travail avec l’équipe des ouvriers (ils sont autour de 8-10 à cet élevage de 6500 poules pondeuses, production et commercialisation).
Les souvenirs de mes études d’antan me sont bien utiles, et cela permet de veiller à une qualité sanitaire bien nécessaire. Il faut aussi investir des énergies dans la collaboration avec le monastère tout proche des bénédictins de Segueya qui fabriquent l’aliment pour les poules, et je suis donc souvent sur les pistes pour aller chercher 5 ou 6 tonnes par semaine, dans une voiture d’aspect local. Pour l’anecdote, la piste en cette saison est par endroits une catastrophe, avec des ornières géantes et des cailloux ou racines lessivés par le ruissellement. On roule parfois à gauche. De toutes façons, heureusement que je ne rencontre que des motos-taxis, car je ne crois pas que nous pourrions croiser un autre véhicule… Seules quelques vaches obligent à négocier un arrêt.
En quelques semaines, je me suis vite sentie en prise avec la réalité de cette communauté, qui réfléchit à bien des équilibres à tenir.
La découverte d’un pays en situation politique précaire
Parmi les hôtes de passage au monastère, nous rencontrons des personnes guinéennes formées à l’université, et qui souhaiteraient avoir une part effective dans la construction de leur pays.
La Guinée est appelée le « Château d’eau » de l’Ouest africain. Et aussi « scandale géologique »… tant on y trouve de minerais précieux : or, uranium, et bien sûr bauxite, et diamant… Avec sa pluie et son soleil, elle pourrait développer une agriculture magnifique… mais en pratique, les richesses sont pillées par les puissances extérieures, et la pauvreté est immense. On a l’impression que la population subit le contrecoup d’un pouvoir fort, qui a du mal à entamer le dialogue. Il faut aussi prendre en compte l’histoire récente de ce pays, où les gens ont dû pendant longtemps, essayer de survivre en contexte de dictature. Cela a marqué les esprits et les comportements, et nous en sommes témoins tous les jours, quand on travaille avec eux. Pour nos sœurs, ce n’est pas toujours simple.
Sur le plan sanitaire, je ne veux pas trop détailler, car mon angle de vue est limité à ce que je constate autour de Friguiagbé… une vraie misère ! C’est tous les jours que j’entends parler de Paludisme très grave, avec état comateux, et d’amis ou travailleurs que l’on envoie à droite ou à gauche dans des dispensaires de brousse. Il y a une grosse mortalité infantile, et je vois de mes yeux, des adultes atteints de fièvre typhoïde (j’en ai soigné dans les ouvriers). A Conakry, c’est le choléra. Et au milieu de tout cela, je me demande comment l’Etat guinéen assure la sécurité sanitaire dans le pays. Un dimanche, au début de la messe, j’ai vu arriver un nourrisson de 8 mois, fils du gardien de nuit ; il était en très mauvais état en chute de température, et presque inconscient. Comment réagir ? Il était allé la veille dans un dispensaire de brousse, et dans une pharmacie, et on m’apportait le traitement en cours. Je ne vous relaterai pas tout ce que nous avons vécu avec ses proches, durant 2 jours, mais l’enfant est mort, et nous nous sentions impuissantes. Depuis une semaine, nous suivons l’enfant d’un ouvrier, dont le pied est très abîmé… cela aurait nécessité une hospitalisation. Au lieu de cela, il a dû se rendre en moto à30 km, pour les 1ers soins, et encore bienheureux d’y avoir trouvé de l’aide.
Les sœurs ont un projet de dispensaire, pour répondre comme elles peuvent à tant de demandes. Elles ne pourront pas assurer les soins, car, comme en France, elles sont d’abord contemplatives, mais elles espèrent motiver des infirmières en France et en Guinée, pour venir s’associer à leur effort. Ce projet commencera en ce mois d’octobre 2012.
Découverte d’autres cultures
Parmi les événements très marquants de ces dernières semaines, il y a eu la profession temporaire de Sr Marie-Bénédicte, la 1ère en Guinée, le 8 septembre dernier.
Sa préparation en communauté a donné lieu à une vraie découverte d’une culture du Nord du Pays, les Bassaris, dont elle est originaire. En quelques lignes, je ne pourrai tout dire, mais nous avons eu la possibilités de rencontrer et dialoguer avec de jeunes hommes, ses frères ou cousins, très enracinés dans leurs coutumes ancestrales, tout en menant un chemin de vie chrétienne. Ils sont des ponts entre une très ancienne civilisation dans laquelle on parle encore, et beaucoup, d’initiation des garçons, de forêt sacrée, de « secret » et d’ancêtres. Par ailleurs, ils vivent aussi en ville, où ils exercent des professions comme les nôtres. Comment concilient-ils tout cela ? Surtout quand ils sont chrétiens ? C’est vraiment intéressant.
La communauté connaît bien un théologien guinéen qui réfléchit à ce « dialogue intra-religieux », pour moi, qui fréquente le « DIM » (Dialogue Interreligieux Monastique) depuis longtemps, je suis heureuse de cette ouverture qui semble très prometteuse.
Une profession temporaire, la première depuis la fondation il y a 16 ans !
J’ai eu la très grande grâce d’y assister, en ce 8 septembre. Bien que les vœux soient « pour trois ans », la famille a tenu à venir, et à entourer Blandine, devenue ce jour, Sr Marie-Bénédicte.
Il a fallu loger bien du monde, et pour ce faire, leur attribuer tous les coins possibles du monastère, y compris pour les garçons, les logements des veilleurs de nuit, et pour les religieuses et jeunes filles venues pour l’occasion des petits coins en clôture.
Nous avons pu profiter de la présence et de l’aide des frères et cousins de Blandine, de jeunes gens aguerris, et formés à la façon « Bassari », qui leur donne un réel savoir faire dans le travail manuel, et le travail en équipe… Ainsi fut mené le ménage en grand de la chapelle, le vendredi, avec vide complet de tout, et nettoyage à grandes eaux… je suis passée à la fin de l’entreprise, et c’était impressionnant de voir ces jeunes hommes, armés de balais africains sans manche, lessiver les marches de l’église, en ligne, et en même temps. Ils avaient un instructeur performant qui leur donnait le tempo, et sans besoin de parler, ils savaient ce qu’ils avaient à faire… Cela nous préparait à la belle coloration culturelle de la soirée et de journée du lendemain !
L’église est petite, et l’assemblée a débordé sur des bancs placés sur l’esplanade. La famille occupait la moitié de l’espace des fidèles, et il lui fallait bien cela, car elle avait une part très importante dans la liturgie : non seulement le dialogue initial, entre le Papa avec son traducteur, et une sœur, représentant la Communauté. Puis, magistralement, pour le registre chanté en Bassari : chant d’Alleluia, Offertoire, Communion et Envoi.
Les instruments de musique : nous avions eu l’occasion de les découvrir lors de la répétition de la veille : uniquement de petites percussions métalliques, genre petites cloches sans marteau ou castagnettes, maniées par des jeunes hommes dûment aptes à cela : et uniquement des hommes ! une flûte, à mi-chemin entre la traversière et la flûte de pan… et pratiquée dans un tuyau de plastique, à défaut de bambou. Mais le résultat était magnifique ! La procession de l’offertoire, fut très belle, alliant la grâce des danseurs et danseuses, et aussi un caractère extrêmement typé car chacun jouait d’un instrument. Il s’agissait des frères et sœurs de Sr M Bénédicte, puis la professe, son Papa et sa Maman adoptifs.
A la sortie de la messe de profession, la professe a été ornée de galons et de grands colliers, de même couleur que ceux des danseurs… et dont… je ne connais pas le sens, ainsi qu’un immense collier d’arachides… et des perles… donc, vous le voyez, il y avait de l’écoute culturelle à cette profession !
La Communauté Chrétienne de Base est arrivée avec des noix de kola (sens ??), un coq vivant, et d’autres présents : apportés à la fin de la messe, dans la chapelle.
La famille avait, au milieu de nombreux cadeaux, apporté aussi un beau bélier, qui avait fait deux jours de taxi avant d’arriver au monastère, un peu dépaysé !
Tout cela donne une idée de l’ambiance de ce jour, mais ce qui compte surtout, c’est que la vie monastique commence à prendre racine, et on espère bien que d’autres vont suivre.
Pour ma part, je regarde, je découvre, et je m’émerveille de la « vie » que je vois surgir, même et peut-être surtout, dans des lieux très humbles : je garde dans les yeux ce garçon de 12-13 ans, venu accompagner son petit frère qui recevait un soin médical douloureux au monastère, et qui avait apporté, pour lui changer les idées, son instrument de musique : une boîte de conserve rouillée sur laquelle étaient fixées deux petites branches de bois, et où il avait tendu 3 fils de nylon ; il les pinçait, et cela donnait trois notes ! Je me dis qu’il a sa place dans de grands orchestres cet enfant : au moins dans ceux qui chantent la gloire de Dieu !
J’arrête là, si je veux que ce courrier arrive avant que je ne revienne, d’ici quelques semaines. En fait, je n’aurai sans doute pas beaucoup le temps de vous ré-écrire, car le temps passe vraiment très vite…
Alors, bonne reprise du cursus quotidien à chacun, chacune… je crois que c’est l’automne en France ?? ici, pas de demi-saisons !
Avec mon amitié très fraternelle
Sr Miryam
Monastère Sainte Croix de Friguiagbé, BP 2016 Conakry GUINEE
Friguiagbé, le 3 août 2012
Chers amis,
Vous avez su qu’une sœur de l’abbaye de Jouarre partait pour trois mois en Guinée…
Voici quelques flashes sur mes toutes premières impressions africaines
Impressions immédiates de « l’aller »…
Conakry est une ville extrêmement étendue, et il nous a fallu plus d’une heure pour en sortir : il n’y a pas de feux, ni de transports en commun : donc les taxis (jaune citron) foisonnent. J’ai réalisé la grande pauvreté de beaucoup d’habitants ici. Puis, trajet sur l’unique grande route, mais avec des nids de poule qui obligent souvent à rouler à gauche. Et on double des voitures portant des équilibres de ballots et autres ayant plus que le volume du véhicule sur le toit. Plus des grappes de gens, agrippés aux estafettes, portes ouvertes, ainsi que sur le toit. Si vous ajoutez que la nuit tombe en ½ heure, on roule bientôt dans le noir, et on croise des autos ou motos sans phares. Il pleut, et tout au long du chemin on croise des hommes, ainsi que des femmes avec bébés et enfants, qui marchent, beaucoup pieds nus, dans le noir, au mieux avec une petite lampe de poche dynamo… Je me demande ce que font ces enfants au long des routes, à 11h du soir dans le noir, sous la pluie. Je pressens ici un tout autre monde que le nôtre… on ne considère pas la vie de la même façon. Les sœurs m’ont dit que les gens se visitent beaucoup et, comme il n’y a pas de moyens de locomotion, on y va à pieds… Même la nuit, non protégé et sous la pluie! …
Je vis donc dans une petite communauté bénédictine (comme Jouarre), fondée par un monastère français, il y a 15 ans. Nous sommes encore dans l’élan des fondations. Il est situé à Friguiagbé, près de Kindia, entre la Guinée côtière et la Guinée moyenne, à 150 km de Conakry.
Je crois que j’aurais du mal à tout décrire de ce que je découvre, et qui me « change » de Jouarre ! On peut commencer par des nuits très symphoniques : il y a beaucoup de bruits dans la nature, la nuit. Et le monastère est quasi dans les bois. Il y a donc un bruit de fond d’insectes genre « grillons ». Je ne saurai dire lesquels, mais ils crissent leurs élytres en non-stop du soir au matin, et ils sont nombreux ; cela donne donc quelque chose d’assez fort, et surprenant : j’ai cru en fait qu’il s’agissait d’une sonnerie de réveil électronique en continu, et je me disais que les sœurs auraient pu l’éteindre ! mais non, on n’éteint pas le chant des grillons!
Puis, la nuit, en cette saison des pluies, ce sont des orages qui coupent l’électricité (comme de nombreuse fois dans chaque journée), ainsi bien sûr que la pompe (un comble, sous des cataractes d’eau !)… En fait, le matin, il n’y a ni eau ni électricité : on se débrouille avec une lampe de poche. On ne sort pas dans le cloître la nuit, car on peut y faire de mauvaises rencontres (serpents par exemple). Il faut aussi essayer de dormir sous une magnifique moustiquaire (je ne connaissais pas ces beaux voilages que l’on borde) car les moustiques à palu, c’est la nuit !
Je profite de ce courrier pour remercier de tout cœur la Paroisse de Notre Dame du Rosaire, les enfants et catéchistes qui se sont solidarisés pour m’offrir une protection solide sur le plan de la santé.
Ici, pas de poste… Alors, vive le mail, lorsque la connexion marche, et ce n’est pas tous les jours !
Vous savez peut-être que j’aime les animaux et la découverte de la faune : alors je ne résiste pas à vous décrire une charmante petite bête postée à l’entrée de l’église de notre monastère, sur la branche d’un arbuste (lequel ?? ) à jolies fleurs mauves. Il se camoufle, et passe inaperçu, car il est à pois vert sur fond brun… seulement, si on s’approche trop, c’est la panique ! il augmente de volume et la partie « vert printemps » s’amplifie (pour ressembler sans doute aux feuilles)… en voulant le photographier, je l’ai fait tripler de taille, et le malheureux est devenu presque totalement vert pomme criard ! c’est un caméléon !
Le fait d’être sur place dans un monastère bien implanté me donne de vrais contacts avec les personnes du village. Sur le plan sanitaire, la prise en charge est des plus limitées : pas de Sécurité Sociale, on doit tout acheter : le soin et le médicament… aussi, bien des malades viennent frapper au monastère, et les sœurs essaient de soigner leurs ouvriers et famille, ce qui peut donner jusqu’à 6 demandes par jour. Ici, la précarité est vraiment grande.
La communauté vit d’un élevage de poules pondeuses (6000) et commercialise les œufs, surtout localement. Je travaille dans ce secteur, en aidant la sœur responsable du poulailler; sur le plan technique, j’ai eu, avant d’entrer, une formation de base.
J’ai aussi eu la joie, d’animer un groupe de jeunes filles en séjour « découverte » pour 3 semaines à l’Accueil du monastère. Elles sont assez différentes des jeunes filles adolescentes françaises du même âge que je côtoie souvent à l’abbaye, et j’ai été également touchée de leur présence, écoute, réactivité et bonne volonté. Dans leurs questions et participation, on sent une culture très « autre » de la nôtre : quand je leur demandais ce qu’on demandait à Dieu dans la prière, je cite des réponses : « du travail, d’aller à l’école (sous-entendu pour avoir un travail ensuite), la santé » (à 13 ans, ça vient rarement), et… « avoir un fils »… ce qui a donné lieu à un bon échange sur la femme…
Découverte d’une autre culture !
Le dimanche, à la messe, l’homélie est très vivante, car le Prêtre interpelle les fidèles, et instaure un dialogue avec l’assistance qui répond ! Lors de mes deux premiers dimanches nous avons eu une belle union de chants en langue (le Guerzé, du sud de la Guinée) et en Français : tout cela parce que les 4 jeunes en séjour découverte sont du Sud, comme Alphonsine, la religieuse postulante. Et quand elles chantent en langue, toute l’assemblée reprend. On y joint alors ce petit instrument dont je ne connais pas le nom, avec graines dans une calebasse, dans un filet de cordes, et tam tam, et ça a tout de suite une fort belle allure… à laquelle je me joins de bon cœur !
Je m’adapte progressivement à la moiteur ambiante (hygrométrie à …100% !) dans ce climat orageux, à une certaine vigilance (surveiller le sol, là où l’on met les pieds !) car le milieu « forestier » où nous sommes est un peu hostile.
Je rencontre beaucoup de gens, les plus pauvres ne parlent que les langues locales : surtout le Soussou. Et chacun me demande « comment ça va en France ? », quelles nouvelles ? c’est la manière de se saluer… et ils sont heureux quand je leur dis que « ça va bien ». Ce qui est sûrement vrai sur le plan des conditions matérielles, par rapport à ici. Mais la chaleur humaine, je crois qu’on la rencontre bien en Guinée. Aventure à suivre, et je n’ai pas fini de découvrir cet « ailleurs » !
J’ai, à distance, le désir de vous donner ces quelques nouvelles, car quand on est en terre étrangère, on pense peut-être plus à la beauté de son propre pays ! Mais l’aventure ici vaut la peine du déplacement !
Je vous souhaite un très bel été, dans la lumière de Jésus : qui est le même ici et là-bas, et nous unit dans une belle fraternité,
Nous serons en union de prière et d’amitié !
Sr Miryam